« Récits de vie » – texte stage mai 2022 (2)

Textes du stage d’écriture créative du 15 mai 202.

Thème « Récits de vie »

Texte par Sylvie Gimmig

Tu descends sur le quai n°3. Il est 11h20. Par le pont suspendu, traversée de la Saône, et devant toi, l’Eglise saint Paul.
Au tableau noir, tu écris. Tu as sept ans. Tu es la seule à porter des sabots de bois. Tu es la seule qui vis à la ferme d’en Bas.
Dans le vieux quartier face au bosphore, ton regard laisse défiler les bateaux russes.Tu sirotes un tchaï, les yeux encore embrumés par la nuit. Tu ne te lasses pas des petits matins.
Sur le bac, tu allumes une cigarette. L’eau est boueuse. L’odeur du fleuve t’enivre. Tu portes ta robe de soie pour rejoindre la ville.
Chaque soir, au son de l’alerte, tu descends aux abris. A la lueur de la bougie frémissante, tu écris un journal et tu as peur.

Quand les premiers rayons éclairent le feuillage du laurier, je sais que c’est le bon moment.
Le bancel du mazet ne sera pas dans le soleil. L’humidité de la nuit aura abreuvé la terre.
J’ouvre le robinet. L’eau gargouille au travers du long tuyau qui va de la cour jusqu’au jardin du haut.
J’attends accroupie le premier jet qui se répand doucement entre les géraniums, les soucis; les lupins, les bleuets.
Quelques oiseaux se mettent à chanter ; la lumière est tamisée.
L’eau qui coule m’hydrate en profondeur. Le son timide m’apaise avant l’arrivée de la grosse chaleur.
J’arrache quelques mauvaises herbes une à une facilement car la terre est encore souple.
Je réajuste mes tuteurs, enlève les gourmands sur les tomates et je récolte les jeunes haricots délicatement entre le pouce et l’index que je dépose dans mon panier de bois. Quelques feuilles de salade. Un dernier coup d’oeil complice à ce jardin qui s’éveille. Je redescends dans la cour pour éteindre le robinet et amener dans ma cuisine les fruits de cette terre.

Une mer qui se retire. Les galets roulent. Trois coquillages dans une main.
Les vaches retournent à l’étable. Les peupliers frémissent dans la lumière du soir. Sur la grande table, la soupe fumante.
Odeur de craie au premier étage. Des chaussons roses tenus par des rubans. Quelques notes de piano. Madame Yvonne a quarante chats.
Pétales rouges sur la pierre. L’herbe a poussé entre les tombes. Silence de granit.

Le cimetière catholique sur la droite, surélevé sur une butte. Tombes de marbre rouge. Chrysanthèmes fanés. Juste après, le marché couvert. Bétonné, porte vitrée avec un cadenas.
La rivière apparait après le vieux pont. A gauche, le cimetière protestant caché derrière une grille en fer noir.
Une maison en contrebas avec une grande olivette qui descend jusque sur la berge du Gardon. une haie de bambous jaunis remonte jusqu’à la route qui suit la rivière. Rochers, écume, pont.
Une petite route part dans la colline de chênes verts, d’arbousiers.
Une crête rocheuse.
Une ancienne filature abandonnée. Pas de fenêtres. Un escalier en pierre. Briques rouges sur la façade.
Après le rond point, c’est la plaine. Ses vignes, ses oliviers, ses coquelicots dans les fossés.
Une grande coopérative vinicole des années cinquante. Bâtiment imposant. Porte en ogive, vitrée. Pas de fenêtres. Austère. Un parking devant avec trois voitures et un camion.
Sur la colline, un vieux château en ruines domine.

J’ai dans le regard, ce vieux temple laotien perché, ses pierres ancestrales recouvertes de mousse, ses colonnes, ses visages de Bouddha qui veillent sur le Mékong depuis des millénaires.
J’ai dans le regard, ces îles d’Aaran. Brumes , bruyères et fougères. Une lande entre terre et mer où les goélands nichent dans les falaises.
J’ai dans le regard, les rives du Danube enneigées. Le tramway jaune qui relie Pest à Buda, le grand arbre de Noël et les toques de fourrure portées par les femmes.